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La tech soutient le revenu de base, Jean Christophe Schwaab n'est pas convaincu. Interview
Contre les pertes d'emplois dues à l'IA, des patrons de la tech soutiennent le revenu inconditionnel de base. Pas le socialiste Jean Christophe Schwaab. Interview. Publié aujourd'hui à 07h01
Pour Jean Christophe Schwaab, le revenu inconditionnel de base est un moyen pour les patrons de la tech de se débarrasser de toute responsabilité sociale.
Chantal Dervey
En bref:
En matière d'intelligence artificielle, il y a les optimistes et les pessimistes. Du côté des premiers, le Forum économique mondial (WEF) qui estime que l'IA pourrait créer 170 millions de nouveaux emplois d'ici 2030, tout en en supprimant 92 millions. La transaction se solderait par 78 millions de postes supplémentaires.
De l'autre côté, les pessimistes doutent des chiffres «euphoriques» du WEF, et en opposent d'autres. Le chômage dû à l'IA pourrait atteindre 20% d'ici cinq ans, selon Dario Amodei, le patron d'Anthropic (la société qui développe l'agent conversationnel Claude) . Et dans les pays de l'OCDE, les professions les plus exposées au risque d'automatisation représenteraient 28% des emplois .
Les dirigeants de la tech sont bien conscients du risque que fait peser l'IA sur de nombreux emplois, et plusieurs d'entre eux plaident pour la mise en place d'un revenu inconditionnel de base pour prévenir les perturbations économiques et sociales à venir. Sam Altman, le cofondateur et PDG d'OpenAI (ChatGPT) , fait partie des défenseurs du RUB. De même qu'Elon Musk, qui déclarait en 2024: «Tout travail deviendra facultatif. Si vous voulez conserver un job qui va ressembler un peu à un passe-temps, vous pourrez le faire. Mais si vous ne le voulez pas, l'IA et les robots fourniront tous les biens et services nécessaires. »
L'idée d'un RUB en renfort face à l'IA fait bondir le docteur en droit Jean Christophe Schwaab, qui ne s'en est pas caché sur le plateau de Léman Bleu . Également auteur d'un livre sur la souveraineté numérique, dans lequel il parle du pouvoir des grandes entreprises de la tech et de l'influence de la révolution numérique sur le droit, le conseiller national socialiste développe sa position.
Vous êtes socialiste et avez occupé le poste de secrétaire central de l'Union syndicale suisse. Et pourtant, vous êtes opposé au revenu inconditionnel de base. Que lui reprochez-vous?
C'est une position assez constante des socialistes d'y être opposé. Lorsqu'il y a eu la votation sur le revenu de base, en 2016, pratiquement toutes les sections cantonales ont dit non. Mais dans le contexte actuel, je dirais que le RUB est un cheval de Troie libertarien pour exclure du marché du travail les employés que les grands patrons considèrent comme improductifs. Le revenu de base, c'est un moyen pour ces employeurs de se débarrasser de toute forme de responsabilité sociale. Si un employé n'est pas content ou malade, il n'a qu'à partir et se suffire du revenu de base.
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Elon Musk s'est pourtant montré favorable à une taxe sur l'automatisation, qui concernerait directement ses propres entreprises.
C'est un mensonge! Je ne lui fais pas la moindre confiance. Je pense qu'en comparaison à vous et à moi, il consacre une part inférieure de son revenu à l'impôt. C'est une constance chez ces entrepreneurs libertariens: ils font tout pour contribuer le moins possible à la collectivité et à la redistribution des richesses.
Les défenseurs du RUB soutiennent également la fin du travail. Ne plus aller au bureau, ça ne rend pas heureux?
Le travail est un outil pour s'intégrer dans la société. Avec le RUB, vous donnez la possibilité à des individus de s'en extraire, ce qui n'est pas dans leur intérêt individuel. Contribuer à la société, participer à un processus de production de biens, fournir des services qui vont bénéficier à d'autres: tout cela est extrêmement important pour la réalisation de soi. Ne plus travailler, c'est ne plus contribuer au bien commun et tomber dans un ultraindividualisme qui détruit la cohésion sociale.
Un revenu inconditionnel de base permet aussi de s'assurer que les citoyennes et citoyens continuent de consommer. Comme un pansement capitaliste?
J'aime bien cette notion de pansement parce que c'est exactement ce qu'est le RUB. Il ne s'agit pas d'une transformation de la société, et encore moins du dépassement du capitalisme. Le revenu inconditionnel de base n'est pas un outil de redistribution des richesses, mais un moyen d'alimenter la machine et de s'assurer de l'achat des biens et des services. «Le RUB met en danger les assurances sociales, en prétendant les remplacer»
Que faire pour contrer les pertes massives d'emplois induites par l'avènement de l'IA?
Il faut déjà renforcer le pouvoir de négociation des salariés en les protégeant et en renforçant leurs conditions de travail, leur place, en leur accordant une meilleure part de rémunération, une meilleure protection contre le licenciement et en forçant les employeurs qui suppriment des emplois – alors que leur situation économique est bonne – à négocier des plans sociaux.
Le RUB met en danger les assurances sociales, en prétendant les remplacer. Alors qu'il faut plutôt faire en sorte et travailler à ce que ces assurances sociales évoluent de manière à pouvoir remplacer les pertes de revenus.
Les grands patrons de la tech s'opposent en général farouchement à ce que l'État mette le nez dans leurs affaires. Mais pour ce qui est du RUB, ils semblent soudain très ouverts à plus d'État. Pourquoi cette pirouette?
Ils ne sont favorables à un État fort uniquement quand ça les arrange. Ces grands patrons ont énormément besoin de l'État pour leurs affaires. Musk, sa proximité avec Trump et les nombreux conflits d'intérêts qui en découlent en sont une démonstration éclatante! Toutes ces grandes entreprises technologiques n'auraient jamais vu le jour sans d'énormes investissements publics, de la défense américaine ou des universités.
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Autres newsletters Catherine Cochard est journaliste à la rubrique vaudoise et s'intéresse aux sujets de société. Elle produit également des podcasts. Auparavant, elle a notamment travaillé pour Le Temps ainsi qu'en tant que réalisatrice indépendante pour l'Université de Zurich. Plus d'infos @catherincochard
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